(Première guerre mondiale)
Le soir du samedi onze novembre 1918, toutes les maisons du village de Pubnico-Ouest étaient illuminées en plein. Après le commencement de la guerre, les autorités du pays avaient ordonné à tout le monde de garder les maisons dans l’obscurité le plus possible, surtout de baisser les rideaux, et cela pour donner le moins d’avantage possible aux avions ennemis, si un jour ils cherchaient à franchir les frontières maritimes de notre Canada. Pour la même raison, on était prié de noircir la partie supérieure des lumières des automobiles. En réalité, nul avion des Allemands ne vint jamais troubler le ciel de Pubnico, ni ailleurs au Canada.
À cette époque où le monde n’avait pas encore connu la radio, ni la télévision, l’Europe était une partie du monde bien éloignée du Canada. Ce qui veut dire que la transmission des nouvelles se faisait bien plus lentement que de nos jours. Pour savoir ce qui se passait là-bas dans les pays en guerre on suivait surtout les journaux d’Halifax. Parfois il était difficile de dire si telle ou telle nouvelle ainsi annoncée était vraiment nouvelle ou rumeur. Voilà pourquoi, quand le message arriva ce samedi soir du onze novembre 1918, annonçant que la guerre était finie, il y eut un peu de confusion pour savoir au juste si tel était bien le cas. (Il y avait eu des rumeurs du même genre dans les jours précédents). Mais, au moins, on pouvait commencer à se réjouir. D’ailleurs, la nouvelle fut confirmée le lendemain.
Dans le temps, j’allais encore à l’école. Notre maîtresse était mademoiselle Clémente d’Entremont, fille de Joseph Rémi d’Entremont. Le lundi matin, à l’école, elle nous expliqua ce que signifiait la signature de l’armistice, nous enjoignant en même temps de ne pas oublier de rendre grâces au Tout-Puissant pour la fin de cette vilaine guerre qui sévissait depuis plus de quatre ans. Pour nous acquitter de ce devoir, ajouta-t-elle, nous allions marcher à l’église et offrir nos prières. Ce qui fut fait. Pour le reste de la journée, à notre extrême bonheur, il n’y eut pas d’école; ni le lendemain. Car le lendemain, mardi, les gens du village allaient faire une grand parade en reconnaissance de ce grand événement.
La parade s’organisa au nord du village. Octave d’Eon, monté sur le cheval à Pierre à Dick d’Entremont, était en tête. Antoine d’Eon, représentant le maréchal Foch, suivait. Dans le temps, il n’y avait pas beaucoup d’automobiles dans la paroisse, mais on vit un certain nombre y prendre part. Une voiture à cheval portait cinq ou six jeunes filles vêtues en gardes-malades de la Croix-Rouge. La parade enfila tout le village et alla tourner devant la maison de chez Vincent à Sissime d’Entremont. Il y avait une raison pour laquelle on s’arrêtait ici. Le seul jeune homme de la paroisse mort en guerre venait de cette famille. Octave adressa quelques mots à la famille en l’occasion.
Oui, la guerre était finie, mais nos soldats n’allaient pas s’en revenir avant la prochaine année. Le premier à arriver, à la mi-février 1919, fut Alcide Amirault, fils de Cyrien Amirault. Il fut rencontré à la gare à Pubnico, à l’arrivée du train d’Halifax (qui était toujours en retard), tôt après le souper, par un groupe d’amis et de voisins, et quand il arriva chez-lui la moitié du village était là pour le revoir. Il faisait ce soir-là une belle température de fin d’hiver et la terre était couverte d’une fine couche de neige. Dans le temps, la maison à Sylvester Amirault n’existait pas encore et à cet endroit une clôture bordait le terrain. Quelqu’un eut l’idée d’y attacher une longue perche (une pièce à bouchure) entourée de vieux sacs traités à une bonne couche de goudron. Une fois allumé, ce flambeau brûla longtemps dans la soirée: un vrai feu de joie pour saluer celui qui arrivait de si loin.
Le second soldat à arriver fut Hilaire Pothier, fils d’Henri Pothier. C’était le 3 mars 1919 et cette date ne s’est jamais effacée de ma mémoire. La famille Pothier était voisine de chez-moi et chaque fois qu’elle recevait des nouvelles d’Hilaire nous en avions connaissance. Or, par ce beau jour du 3 mars 1919 (il faisait vraiment pour le temps de l’année), Henri et Hermance apprirent que leur fils soldat allait prendre le train à Halifax ce matin-là pour arriver à Pubnico tard dans l’après-midi. À mon retour d’école, vers les trois heures et demie, Hermance m’appela chez-elle pour me demander si je ne m’occuperais pas de faire de la crème à la glace pour servir à la réception le soir. Elle n’eut pas besoin de me le demander deux fois. Pour m’aider à expédier l’affaire, j’invitai Eddie à Vincent et Leonard Doucet à me donner un coup de mains. Avec une brouette et une hache, on se rendit au «commencement du bois», à la mare à Gori, où il restait encore un peu de glace. On apporta cette glace dans la bâtisse qui adjointe à la grange chez Henri Pothier et on se mit à tourner, chacun notre tour, le vieux «freezer». En temps voulu, il en sortit un bon gallon de crème à la glace qui fut servi aux personnes réunies le soir et personne se plaignit le lendemain d’avoir souffert de coliques, soit dit en passant que toute cette aventure m’avait excité au suprême degré, à tel point que je finis par oublier d’aller souper chez-nous.
Il faut se rappeler qu’à cette époque les chemins n’étaient pas encore pavés et quand arrivaient les premiers dégels du printemps, la transportation n’était pas facile. Octave d’Eon s’était offert d’aller rencontrer Hilaire à la gare à Pubnico avec son Ford et avait emmené quelques compagnons avec lui. Une fois que Hilaire fut descendu du train, tous embarquèrent dans l’auto pour s’en revenir. Mais dans le chemin vaseux, la pauvre machine n’avançait pas vite. On parvint à se rendre, toutefois, jusqu’à ce que nous avons toujours appelé «Le Grand Ruisseau» où on abandonnait l’auto, quitte à venir la chercher plus tard dans la soirée quand le chemin commencerait à geler. Mais auparavant, on eut soin de vider le radiateur.
Comme pour Alcide, quand Hilaire arriva chez-lui une foule de monde l’attendait. Au cours de la soirée on servit des friandises, y compris la crème à la glace. Un peu plus tard, jugeant que le chemin s’était suffisamment affermi, Octave demanda à Henri Pothier de lui passer un vaisseau quelconque pour apporter de l’eau à son automobile. Celui-ci étant bien au courant du complot qu’on avait arrangé (qui s’expliquera plus tard), chercha le plus grand seau qu’il pu trouver et le mit plein d’eau.
Octave fit la remarque que quelque chose de moins grand aurait suffi, mais partit avec le grand seau accompagné de trois ou quatre autres. Mais quand le groupe arriva au Grand Ruisseau, pas d’automobile. Octave s’aperçut alors qu’il s’était fait jouer un bon tour. C’est que pendant la soirée, quelqu’un avait suggéré à Louis à Charles de prendre ses boeufs et d’aller chercher l’auto sans le dire à Octave. Tout le monde avait eu vent du complot excepté lui.
Hilaire et Alcide s’étaient enrôlés au printemps de 1916. Ils firent leur premier entraînement à Meteghan. De là ils se rendirent à Val Cartier, Québec, puis vinrent passer l’hiver à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick. Le régiment était prêt à partir le printemps suivant. Ce régiment était le 165e, appelé le régiment acadien, et il était commandé par le major Émile Sthélin de la Pointe-de-l’Église. Après avoir passé quelque temps en Angleterre, nos deux soldats furent envoyés en France, dans la région des montagnes du Jura, où les deux compagnies qui formaient ce contingent furent employées à travailler dans la forêt (moulins). Deux autres compagnies du même régiment furent postées plus au sud de la France. Les soldats qui appartenaient à ce régiment ne furent pas appelés à combattre.
Comme nous le disions au début de ce récit, Hilaire et Alcide furent les premiers soldats de notre village à s’en revenir d’Europe. Les autres arrivèrent au cours des mois suivants. Certains, tels que Évangéliste d’Eon, fils de Joseph à Philippe, et Robert Amirault, fils d’Actime Amirault, qui avaient fait un stage en Sibérie avec d’autres soldats alliés après la fin de la guerre, furent les derniers à rentrer au pays.
Sur le monument érigé en 1951 à la mémoire de nos anciens combattants morts durant la première Grande Guerre on trouve le nom de Willie d’Entremont. Mais il y en a quatre autres, lesquels étaient du village de Pubnico-Est, paroisse de l’Immaculée Conception. Ce sont: Ernest Amirault, fils de Théodore Amirault et frère de mademoiselle Anita Amirault; Léo d’Entremont, fils de George à David d’Entremont; Landry Amirault, fils de Bill à Rémi Amirault (cette famille s’en alla demeurer à Yarmouth après la mort du père); Alfred Johnson, fils de Thomas Johnson.
(Thomas Johnson et son frère jumeau nommé Georgie, nés à Wood’s Harbour, avaient été adoptés par John Belliveau de Pubnico-Est. Georgie resta célibataire, Thomas se maria et eut au moins cinq enfants: Alfred, Roy, Edith, Emily et Eldora. La maison des Belliveau était située un peu au nord de la nouvelle école qu’on avait construite au milieu du village. Cette maison a été démolie).