Ce court texte a été rédigé en anglais par le père Clarence d’Entremont et publiés dans le Yarmouth Vanguard le 16 octobre, 1990. Traduction de Michel Miousse
Cette histoire est en relation avec le mariage entre Pierre de Montalembert, né en France, non loin d’Angoulême et Marie Charlotte de Chassin de Thierry, de Louisbourg. La grand-mère maternelle de Marie Charlotte était Jeanne de La Tour, fille Jacques, lui-même fils du Gouverneur Charles de La Tour. Jeanne de La Tour s’est marié deux fois. (Dans la soirée de son premier mariage à Jacques David, dit Pontife, chirurgien, qui eut lieu en 1703 à Port Royal, il y avait un tel « charivari » qui se passait ce soir là à la maison où le mariage était célébré que le Gouverneur dût envoyer ses troupes pour calmer tout ce beau monde.) Son deuxième mariage eut lieu à Cap Breton avec un Lieutenant Français du nom de Pierre Rousseau de Savigny.
Marie Josephte Rousseau, le second enfant et la plus âgée des filles de ce mariage, qui allait épouser à Louisbourg en 1734 un autre officier Français de l’armée, du nom de François Nicolas de Chassin de Thierry, sera au centre de cette malheureuse histoire d’amour de sa fille Marie Charlotte.
Âgée d’à peine 20 ans, Marie Charlotte était profondément en amour avec un capitaine Français de Louisbourg, du nom de Desmaille, à peu près du même âge. Mais sa mère ne l’aimait pas ou plutôt elle préférait un homme plus âgé, Pierre de Montalembert, Chevalier de l’Ordre Militaire de Saint-Louis, Capitaine de Marine, Commandant de la Batterie Royale de Louisbourg, où il était stationné depuis 1750. En dépit d’elle-même, Marie Charlotte le matin du 7 septembre 1755, fut forcée de marcher dans l’allée de l’église de Louisbourg, au bras d’un homme qu’elle n’aimait pas, et de prononcer les mots fatals, « Je le veux. »
Quelques semaines avant que le mariage eut lieu, le Capitaine Joubert, qui était aussi arrivé à Cap Breton en 1750, écrivait à son ami, le Colonel Surlaville, qui était retourné en France après avoir servi quelques temps à Cap Breton, de laquelle correspondance nous tenons notre histoire : « M. de Montalembert n’ira pas en France ; il craint que ce qui s’est passé la dernière fois qu’il y est allé ne se reproduise et que quelqu’un prenne avantage de son absence pour enlever sa Dulcinée (la femme de ses rêves.) Il est follement amoureux de la plus âgée des Thierry, qui le déteste, bien qu’elle soit déterminée à l’honorer de sa main. Je lui ai dit que c’était de l’infatuation de sa part, juste comme les autres l’ont fait, mais sans être capable de le ramener dans le droit chemin. En un mot, il veut que ça se passe comme ça, et ça va se passer comme ça. »
D’une autre lettre nous lisons que la première nuit qu’elle a passé avec son mari, Marie Charlotte s’est réveillée à 3 heures du matin, et affalée sur l’appui de la fenêtre, a pleuré et pleuré tout son saoul.
Peu de temps après le mariage, la relation tendue entre les deux et la compagnie qu’elle entretenait ouvertement avec le Capitaine Desmaille devint bientôt le sujet de conversation de la ville.
Ils venaient juste de se marier lorsque le Gouverneur Drucourt les invita à dîner. Elle a pleuré durant tout le repas, faisant montre d’un comportement totalement inapproprié, indigne même d’un enfant de dix ans. Lorsqu’ils ont quitté, Montalembert lui a offert sa main, qu’elle a refusé avec mépris.
Ça allait durer quelques années. Dans une autre lettre au Colonel de Surlaville, écrite le 12 mai 1757, par une autre personne, nous lisons : « Le pauvre Montalembert est manquant depuis un mois ; il est allé chasser mais il n’est pas revenu… Je dois aussi bien vous dire que la lubricité de son indigne épouse, le mauvais comportement de sa belle- mère et les dettes qu’il a contractées l’ont poussé à se perdre. Déjà dans le passé, le désespoir l’avait poussé à s’enfermer dans sa chambre pour y mourir de faim ; après trois jours, on l’en a sorti. Une autre fois, on l’a trouvé assis dans la neige, à l’entrée du bois, se tirant les cheveux, affligé du plus criant des désespoirs, refusant toute aide. Les gens ont été obligé de le transporter jusqu’à la maison. »
Quelques jours plus tard, le 15 mai, Joulbert écrit de nouveau à Surlaville : « C’est avec grand regret que j’ai à vous parler du destin du pauvre Montalembert. Depuis un mois, nous ne savons pas ce qui a pu lui arriver. Les soldats et les Amérindiens ont coupé les arbres en direction de Mira (à 8 miles au nord de Louisbourg), mais sans succès. Un certain mercredi il a quitté la maison de madame Thierry, où le couple habitait depuis quelques temps, avec son fusil. Personne ne sait où il a dormi cette nuit là. Il est revenu le jeudi et a passé la nuit chez sa belle-mère, dont la maison est située sur la route qui mène à Mira, à peu près à une heure et demi de Louisbourg. Il est parti à nouveau le lendemain matin. Depuis, il a disparu. »
Monsieur Joulbert ajoute « que depuis plusieurs mois, il était méconnaissable, à cause des griefs que sa femme lui causait ; non satisfaite de le maltraiter de toutes les manières, elle entretenait avec un officier une cour pratiquement ouverte. Cette misérable femme l’a ruiné. Montalembert, avant d’être marié, avait plus de 250 louis (ou livres) ; il semble qu’aujourd’hui il possède environ 9000 livres. »
Bien que madame Thierry savait depuis le début ce qui se passait, elle n’a rien fait pour remédier à la situation. Même-que, Montalembert était porté manquant depuis trois jours avant qu’elle donne l’alarme. On a dit qu’il y avait « des cruautés et de la barbarie » dans sa maison, et tout le monde le savait. Mais Montalembert, en dépit des infidélités de sa femme, l’aimait encore trop pour la quitter ! Joulbert ajoute que s’il l’avait écouté quand il a fait tout ce qu’il pouvait pour le dissuader de ce mariage, il serait encore en vie, mais il n’a écouté que sa passion et les beaux mots de sa belle-mère.
Son corps fut retrouvé trois mois plus tard ; il s’était noyé. La question fut soulevée à savoir s’il pouvait être enterré dans le sol sacré ; il y avait une loi alors qui exigeait qu’un enterrement chrétien soit refusé à ceux qui commettaient délibérément un suicide. Dans ce cas, comme il n’y avait aucune preuve directe, qu’il s’était délibérément tué lui-même, il fut enterré dans le cimetière de la paroisse de Louisbourg le premier septembre de la même année, 1757.