Ce court texte a été rédigé en anglais par le père Clarence d’Entremont et publiés dans le Yarmouth Vanguard le 28 août 1990. Traduction de Michel Miousse
Comme je l’ai déjà dit dans une de mes articles précédents, un des traits par lequel notre 20ième siècle sera caractérisé dans l’histoire sera sûrement celui du changement. Nous qui sommes nés dans sa première décennie et qui nous dirigeons vers sa dernière, semblons vivre dans un monde différent. Durant cette première décennie, l’électricité était une commodité très rare, très peu de maisons avaient un téléphone, l’automobile en était encore à ses premiers pas, les avions venaient à peine de sortir de leur cocon. La radio apparaissait comme une possibilité, alors que la télévision n’était même pas encore dans l’esprit de l’inventeur. Les gens d’alors vivaient une vie complètement différente de celle d’aujourd’hui. Et que dire des manières qui étaient considérées comme osées mais qui aujourd’hui sont devenus banales ? Ou que dire des attitudes qui étaient hors la loi, mais qui aujourd’hui sont récompensées ? Dans ce qui suit nous allons voir que, à mesure que notre siècle s’en va sur sa fin, plusieurs des choses courantes de notre vie, maintenant considérées comme complètement admissibles, ont déjà été bannie et même punissable, particulièrement de la part des autorités ecclésiastiques.
Prenons par exemple la danse. Certains d’entre vous, en ces jours là, pourriez être surpris d’apprendre comment les autorités ecclésiastique et même les bonnes gens étaient furieux à propos de ça. Juste avant la Révolution Américaine par exemple, Jeanne Duon, veuve de François Mius, revint d’exil et s’établit avec son fils Ben dans ce que les Français appellent, pour cette raison, « La Pointe des Ben » (Pointe des Muise.) Le 2 janvier 1777, sa fille Isabelle lui écrit de Pubnico, lui disant qu’elle avait entendu dire que, elle, sa mère, permettait que l’on danse dans sa maison, même les dimanches. De plus, j’ai entendu parler du mauvais usage que tu as fait des vêtements de ma défunte sœur Cécile ; au lieu de les vendre afin que les gens puissent prier pour la délivrer du purgatoire, tu as laissé mon autre sœur s’en servir pour aller au bal et s’amuser et servir le diable. »
Et que pensez-vous de ça ? À l’époque du Père Sigogne, danser était autorisé quelques fois aux mariages ; mais alors, les garçons devaient danser entre eux dans une salle, et les filles devaient danser entre elles dans une autre salle.
Sans reculer aussi loin, au début du siècle, les danses étaient formellement interdites par le pasteur dans les maisons privées ou les endroits publics, à l’exception de la salle de danse. Et même là, la permission du pasteur était requise. Elle était donnée aux mariages et en très peu d’autres occasions, comme à la veille du Nouvel An. Quelques pasteurs demandaient à ce que la danse s’arrête strictement à 11h.30, de façon que les gens puissent arriver à la maison pour dire leurs prières du soir avant minuit. A maintes et maintes reprises, la permission fut sollicitée pour avoir une danse au Mardi Gras ; certains pasteurs refusaient carrément d’y accéder, prétextant que ce n’était pas une façon pour des Chrétiens de se préparer pour le carême.
De tous les mauvais comportements qu’il pouvait y avoir, les unions illégales particulièrement étaient les plus sévèrement réprimées par les autorités ecclésiastiques.
Il y avait à la Rivière Abram un homme que les gens appelaient « Guelou. » Devenu veuf, il voulait se remarier avec la première cousine de son ancienne femme ; ils étaient cousins des deux côtés. Cela constituait ce qui s’appelle un double empêchement d’affinité, qui invalidait le mariage. Il semblerait que le Père Sigogne n’a pas voulu se casser la tête à demander une dispense à l’Évêque. Alors qu’est-ce qui s’est passé ? Ils sont allés à Tousquet pour y être mariés par un Juge de Paix. Ça a entraîné la colère du Père Sigogne. Dans de pareils cas, les parties coupables devaient demeurer dans le vestibule de l’église durant la messe, étant interdits d’entrer dans l’église proprement dite, et souvent on demandait aux gens de ne pas avoir de communication avec eux. Ce ne fut que 10 ou 11 ans plus tard, alors que l’Évêque visitait Sainte Anne du Ruisseau, que la dispense requise fut accordée et que le mariage fut béni.
Un autre mariage d’un couple de sainte Anne du Ruisseau qui eut lieu devant un Juge de Paix fit toute une histoire. C’était celui de Pierre Surette et de Marcelline Babin qui étaient proches parents. Lorsque le Père Sigogne, qui était à Pointe de l’Église, entendit parler de ça, il se précipita à Sainte Anne du Ruisseau et le dimanche, avant de commencer la Messe il dit aux parties coupables de quitter l’église en compagnie de ceux qui avaient encouragé le mariage. « Je ne commencerai pas à dire la Messe avant que ces 11 personnes, que j’ai mentionné aient quitté l’église » leur dit-il. Après quelques temps, le couple s’est réconcilié avec les lois de l’église, mais il y avait une condition, durant les six prochaines années, ils devaient assister aux divins services à l’entrée de l’église, l’homme du côté des hommes (les hommes et les femmes étaient séparés dans l’église) et la femme du côté des femmes. La femme devrait porter un mouchoir blanc sur la tête et l’homme un mouchoir blanc autour du cou. Chacun d’eux devrait tenir une chandelle allumée, au moins à partir du « Sanctus. » Il n’y avait que l’évêque et lui-même pour les dispenser de cette pénitence. Le mariage fut finalement béni le 5 novembre 1826.
Le Père Sigogne n’était pas le seul à agir aussi sévèrement envers les unions illicites. Nous lisons dans les registres d’église de Quinan ce qui suit : « Le 25 novembre 1877. Réparation publique d’un scandale. À la Messe paroissiale de l’église Sainte Anne, Anselme Muise et Vitaline Doucet firent une réparation publique du scandale qu’ils avaient donné en vivant ensembles comme mari et femme pendant deux ans sans avoir été mariés de façon valide. (Ils étaient allés à Yarmouth pour se faire marier devant un Juge de Paix.) Ils s’agenouillèrent à la balustrade de l’autel pendant que le Père Restler, S.J. (qui prêchait une mission) demanda pardon à la congrégation pour eux et le chœur se mit à chanter le ‘De Profundis’. » Ils furent validement mariés après avoir obtenu une dispense de l’Évêque. Ils étaient premiers cousins des deux côtés.
En ce qui a trait à la façon dont les femmes s’habillaient, spécialement durant le siècle dernier, nous trouvons de nombreux exemples dans les registres d’églises des pénalités qui étaient infligées à celles qui ne s’habillaient pas modestement ou même à celles qui voulaient suivre les « nouvelles tendances. » À l’époque où toutes les femmes devaient se couvrir la tête avec un foulard, deux dames de Pointe de l’Église allèrent à Weymouth et s’achetèrent chacune un chapeau. Le dimanche suivant, le Père Sigogne, ayant pris notes de ces « stupidités », dirigea son sermon en entier contre les styles « immoraux » d’aujourd’hui.
Ce devait être à peu près à la même époque qu’au début de la Messe un dimanche, lorsque le prêtre allait dans l’allée centrale de l’église en arrosant l’assistance d’eau bénite, un certain prêtre, arrivant près d’une certaine femme, s’arrêta et se mit à arroser copieusement les fleurs artificielles qu’elle avait sur son chapeau. Et il n’y a pas très longtemps, lorsqu’un prêtre donnant la communion aux gens agenouillés en rangée devant la balustrade de l’autel, passait tout droit devant les femmes qui portaient une mini jupe. Ça me rappelle un pasteur que j’avais entendu se plaindre de la chaire il y a plusieurs années de cela, que les vêtements des femmes remontaient du bas et s’abaissaient du haut.
J’ai beaucoup d’autres exemples du genre dans mon garde-meuble. Ceux qui vous sont donnés ici sont suffisants pour vous montrer à quel point les choses changent même au cours d’un siècle.