Ce court texte a été rédigé en anglais par le père Clarence d’Entremont et publiés dans le Yarmouth Vanguard le 8 mai 1990. Traduction de Michel Miousse
À l’époque de l’Expulsion des Acadiens, il y eut deux évasions de deux forts localisés de chaque côté de la Rivière Missaguash, qui fait la frontière entre la Nouvelle Écosse et le Nouveau Brunswick. Une a eu lieu à Fort Lawrence, situé en Nouvelle Écosse, sur la route 104 ou l’Autoroute Transcanadienne, à 4 kilomètres à l’ouest des limites de la ville de Amherst. L’autre eut lieu à Fort Beauséjour (appelé par la suite Fort Cumberland) au Nouveau Brunswick, juste au sud de l’Autoroute Transcanadienne, à deux kilomètres de la frontière. L’évasion du Fort Lawrence eut lieu durant la nuit du 1er au 2 octobre 1755, alors que celle de Fort Beauséjour eut lieu durant la nuit du 26 au 27 février 1756.
Le compte rendu de l’évasion du Fort Lawrence me vient principalement d’un des petits-fils d’un des prisonniers, qui l’entendit de son grand-père.
Le 23 juillet 1755, Charles Lawrence, Gouverneur de la Nouvelle Écosse, envoie secrètement un message à tous les postes militaires de la Province qu’il a été décidé de procéder avec les Acadiens en les embarquant dans des vaisseaux et en les envoyant au loin, principalement sur les côtes des États Unis actuel.
Quelques semaines plus tard, tous les hommes des environs de Amherst furent sommés de se rassembler au Fort Beauséjour, pour discuter des sujets relatifs au Serment d’Allégeance à la Souveraineté d’Angleterre. Le 11 août, 150 Acadiens arrivent au Fort, tous des hommes, et sont immédiatement incarcérés. Comme ils étaient trop nombreux pour être contenus dans le fort, la majorité fut envoyée le même jour au Fort Lawrence. Les semaines suivantes d’autres Acadiens furent appréhendés, et ça a continué comme ça jusqu’au mois d’octobre. C’est en effet, ce qu’on peut lire dans le journal que tenait à l’époque le Dr. John Thomas. Le 11 août, il écrit : Le Colonel Muncton a emmené 250 des habitants au Fort Cumberland et les a confiés au Major Bourn avec 150 hommes pour garder la plus grande partie d’entre eux jusqu’au Fort Lawrence où ils furent confinés.
Après plusieurs débats, les femmes et la parenté des captifs furent autorisés en groupe à les visiter de temps à autre. En faisant ça, ils étaient en mesure de dissimuler différents objets qui pourraient être utiles aux prisonniers. La tradition nous raconte que certains emportaient des vêtements féminins pour que quelques prisonniers, sous un déguisement de femme, puisse sortir de prison en leur compagnie. Et c’est sûr que quelques-uns furent capables de déjouer les gardiens et de s’évader. Mais il arriva un jour qu’un de ces fugitifs boitait. Le gardien qui avait laissé les femmes entrer, se rappelant qu’aucune des femmes qu’il avait laissé entrer ne boitait, devint suspicieux, le truc fut aisément découvert. À partir de là, plus personne ne fut autorisé à visiter les prisonniers.
Si les officiers du fort étaient frustrés d’avoir été dupé par ce stratagème, ils allaient être encore plus bafoués par ce qui allait se passer un peu plus tard.
Un matin, un des gardes qui faisait sa ronde, descend à la cellule où sont gardés les prisonniers, quelle fut sa surprise lorsqu’il a découvert que la cellule était complètement vide. Comment tous ces prisonniers, 86 en tout, ont-ils pu s’évader sans se faire remarquer par la sentinelle ? Le mystère fut complet pour quelque temps. Finalement, un trou fut découvert dans le sol qui courait sous les murs du fort. Ils figurèrent que les prisonniers étaient cachés là. Les officiers envoyèrent un de leurs hommes dans le trou pour l’investiguer. Il n’avait fait que quelques pieds quand il sentit qu’il était coincé, sans doute portait-il son gros uniforme entouré et comprimé par la terre. L’histoire raconte que, bien que les hommes à l’extérieur firent de leur mieux pour le tirer de là, il a suffoqué et a fini par en mourir.
Voici ce qui est réellement arrivé. Une femme ou plusieurs d’entre elles, alors qu’elles visitaient leurs maris, cachèrent de petits instruments, comme des couteaux ou des cuillères, dans des miches de pain qu’elles leurs apportaient. Avec ces petits « outils » rudimentaires, les prisonniers commencèrent à creuser un trou dans le sol. Ils continuèrent sans arrêt, sans doute jours et nuits, jusqu’à ce que finalement après des semaines, sans doute, ils atteignent le sol de l’autre côté du fort. La terre qu’ils sortaient du trou était cachée sous les lits.
Lorsque tout le travail fut complété, ils choisirent une nuit particulièrement orageuse pour s’évader ; c’était la nuit du 1er au 2 octobre. Le Dr. John Thomas écrit dans son journal le premier octobre : « Par une sombre nuit orageuse, 86 prisonniers creusèrent un trou sous le mur du Fort Lawrence et s’enfuirent sans être découverts par la sentinelle… »
Le plus petit du groupe passa en premier dans le tunnel, chacun d’eux repoussant un peu de terre pour élargir le passage. Ça a dû prendre la plus grande partie de la nuit avant que tous soient en liberté. Selon la tradition, le dernier à quitter la cellule ou la prison était un Acadien du nom de René Richard. Il a plusieurs fois racontée l’histoire à son petit-fils Joseph. L. LeBlanc, de Memramcook. Cette histoire, que j’ai lu dans les papiers de Placide Gaudet, l’éminent généalogiste Acadien, Gaudet la tenait directement de ce petit-fils.
Aucun doute que les pauvres Acadiens se mirent à courir pour se cacher dans les bois. Mais finalement, ils furent capturés de nouveau ; quelques-uns d’entre eux, au désespoir, se rendirent eux-mêmes aux autorités, afin de ne pas mourir de faim ou de froid. Nous avons les noms de la plupart de ces prisonniers et nous savons où ils s’établirent après l’Expulsion, la plupart au Nouveau Brunswick.
La semaine prochaine, je vous parlerai de l’évasion du Fort Beauséjour.