Ce court texte a été rédigé en anglais par le père Clarence d’Entremont et publiés dans le Yarmouth Vanguard le 30 janvier 1990. Traduction de Michel Miousse
Ce n’est qu’après de multiples hésitations que j’ai décidé de faire connaître le résultat de mes recherches concernant Marie Babin de l’Île Surette, qu’on dit avoir été la dernière survivante des Acadiens exilés. Le Père Dupuis, qui fut le premier prêtre résidant de l’Île Surette, a érigé devant l’église une pierre tombale, constituée d’une simple et rustique dalle, pour marquer l’endroit où elle fut enterrée. L’inscription qui y fut gravée par son petit-fils Marc Surette, se lit comme suit :
Ici gît
Marie Babin
Femme de Chs. B. Surette
Qui décéda le 30 Dec. 1862
À l’âge de 110 ans.
Dernière survivante de
la Déportation de 1755
R.I.P
Même si je dois priver les bons habitants de l’Île Surette de leur plus précieux trésor historique et faire fie de la tradition plus que centenaire et surtout, plus particulièrement parmi les habitants Français du Comté de Yarmouth, je suis dans l’obligation de dire au nom de la vérité que Marie Babin ne fut pas la dernière survivante des Déportés, qu’elle ne fut même pas déportée et qu’elle n’est pas morte à l’âge de 110 ans. C’est lors de mes recherches pour des documents qui pouvaient justifier l’inscription sur sa pierre tombale que j’en suis arrivé à ces conclusions.
Après son décès, le Yarmouth Herald, nous a donné un bref aperçu de sa vie, qui a été reproduit par George S. Brown dans son Histoire de Yarmouth ( p. 157), de laquelle je vous extraie le paragraphe suivant ; « Elle…était, selon les dires de ses enfants, âgée de 108 ans et dix mois lors de son décès ; mais, elle était peut être âgée d’au moins deux ou trois ans de plus ; parce que durant son existence, elle a toujours affirmé se souvenir distinctement que lors de l’arrivée, dans le Port de Boston, du vaisseau qui avait emmené là, ses parents et leurs compagnons en exil, le capitaine du vaisseau l’avait transportée lui-même dans ses bras jusqu’à la rive. »
Lorsqu’elle est décédée le 30 décembre 1862, si elle avait 108 ou 110 ans et 10 mois, cela voudrait dire qu’elle est née en février ou mars 1754 ou 1752. Elle a dû célébrer son anniversaire en février ou en mars.
J’ai toutes les raisons de croire au contraire que, Marie Babin est née en 1761 ou, au plus-tôt, en 1760, probablement en février ou en mars, et que le compte rendu suivant, qui vient des registres de la vieille église de Sainte Anne de Restigouche, en Gaspésie, de l’autre côté de Campbellton, est celui de son baptême :
« Le 6 mars, 1761, j’ai baptisé Marie, fille de Pierre Babin et de Cécile Bois, son père et sa mère étant mariés ensembles. Le parrain porte le nom de Joseph Babin et la marraine Marie Bois, ils ont déclaré qu’ils ne savaient pas comment signer en foi de quoi j’ai signé en ce jour et cette année comme ci-haut. –Père Ambroise, Récollet. »
Bona Arsenault, dans ses travaux sur la généalogie des Acadiens, donne l’année 1761 comme celle de sa naissance. Placide Gaudet, la plus dominante autorité en généalogie des familles Acadiennes, dit que Marie Babin est née en février 1760. Cet éminent érudit de l’histoire Acadienne nie catégoriquement qu’elle soit décédée à l’âge de 108 ou 110 ans ; selon lui, elle avait au plus 102 ans.
Joseph Olivier Babin, né en 1768, est arrivé à l’Île Surette à peu près en même temps que Marie babin. Il lui arrivait d’appeler Marie Babin « la sœur » au lieu de « ma sœur », étant donné qu’elle était la seule sœur qu’il avait. Nous savons, grâce à d’autres documents, qu’il était le fils de Joseph Babin et de Cécile Bois. Il est à l’origine de la famille « Carino » du Comté de Yarmouth.
Marie Babin a épousé Charles Henri Barromee Surette, appelé Gee-Gee, qui était né vers la fin de 1762 ou le début de 1763, ce qui voudrait dire qu’il était plus jeune que Marie Babin d’un an ou deux. Si Marie Babin était née en 1752 ou 1754, cela voudrait dire qu’elle avait 8 ou 10 ans de plus que son mari.
Selon les documents que nous possédons, Marie Babin s’est mariée alors qu’elle avait 25 ou 26 ans. Si elle était née en 1752 ou en 1754, ça voudrait dire que le mariage aurait eu lieu entre 1777 et 1780, alors que son mari n’aurait été âgé que de 15 ou 18 ans, ce qui aurait été plutôt inhabituel chez les Acadiens à l’époque. De plus, ils auraient eu leur premier enfant près de dix ans après leur mariage, en 1787, parce que c’est cette année là, au mois de mars, que Marguerite Adelaide, leur enfant le plus âgé, est née. Née en 1760 ou 1761, mariée entre 1785 et 1787, elle a un enfant en 1787 ; ce qui serait en concordance avec les règles établies par les généalogistes, stipulant que le premier enfant, à l’époque, naissait environ un an après le mariage.
Elle a pu être transportée jusqu’à la rive dans les bras d’un capitaine, mais ce n’était pas à Boston. Le fait est que son père, qui était de Pisiquid (Windsor), s’est enfui dans les bois durant l’Expulsion, et a atteint la région de Miramichi ou de la Baie des Chaleurs, où il épousa Cécile Bois vers 1759-60. Leur premier enfant, Marie, étant née au même endroit environ un an après. Quelques années plus tard, la famille était encore au Nouveau Brunswick, en 1768, à la Rivière St-Jean. De là, ils sont allés dans les environs de Halifax.
Et voici la véritable histoire, aussi décourageante qu’elle puisse être, de Marie Babin de l’Île Surette, qui, au lieu d’être la dernière survivante des Acadiens déportés, qui serait morte entre l’âge de 108 et 110 ans, décéda à l’âge relativement « jeune » de 101 ans ou pas plus de 102 ans, sans avoir réellement été déportée.