Ce court texte a été rédigé en anglais par le père Clarence d’Entremont et publiés dans le Yarmouth Vanguard le 24 janvrier 1989. Traduction de Michel Miousse
Il était une fois sur la rive droite de la Rivière Chebogue*, à l’endroit autrefois appelé la « Pointe à L’Indien »*, puis « Pointe Crocker »* et qu’on appelle aujourd’hui la « Butte à Crocker »*, un amoncellement de pierres qui, disait-on, auraient pues être les ruines d’un monument construit à la mémoire d’un grand chef Amérindien. Au cours de la seconde guerre mondiale, l’armée canadienne utilisait ce site comme champ de tir, c’est ainsi que ces reliques du passé disparurent à jamais. Si la Route Wyman*, qui vient de Yarmouth, était étendue sur une ligne droite, elle se terminerait aux environs de cet endroit, juste au-dessus de la falaise, avant la descente, près de la rivière. Ces lieux sont maintenant occupés par H.V. Anthony Greenhouses Limited.
Je serais bien surpris que cet « amas de pierres » eût été un monument élevé à la mémoire d’un grand chef Amérindien ; sans quoi, ç’aurait été le seul exemple qui nous soit parvenu d’une telle dédicace de la part d’Amérindiens envers l’un des leurs dans cette partie de la contrée. De plus, il ne semble pas que ç’ait pu être la tombe d’un Amérindien au-dessus de laquelle aurait été érigé un tel monument car, comme le mentionne Marc Lescarbot qui vivait ici en 1606-07, les Amérindiens vivant au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse enterraient leurs morts dans « une île retirée » aux environs de Cap Sable, ajoutant que « l’emplacement de ces îles utilisées comme cimetière était gardé secret entre eux. »
De très vieux auteurs nous parlent d’un « fort » à « Theboc », nom amérindien de l’actuel Chebogue. Ils l’appellent le « Fort Lomeron », donnant même à l’endroit le nom de « Port Lomeron ». David Lomeron, qui venait de La Rochelle en France, est venu en Acadie chaque année entre 1614 et 1623, excepté en 1622, l’année de son mariage. Il agissait en tant qu’agent pour deux de ses oncles fortunés qui oeuvraient dans le commerce des pêches et des pelleteries. Au départ, il commerçait à Port-Royal avec Biencourt, un des pionniers de l’Acadie. Mais en 1618, Biencourt déménage à « Theboc », pour être plus près des bancs de pêche ; également territoires de chasse des plus fréquentés. C’est ainsi que « Theboc » devint un poste de traite. Et comme on érigeait toujours un fort pour la protection partout où on établissait un poste de traite, le fort de « Theboc » prit le nom de Fort Lomeron, c’est par la suite que l’endroit lui-même en vint à s’appeler pour un certain temps « Port Lomeron. »
En 1628, les Kirkes prirent possession du fort au nom du roi d’Angleterre. En 1632, après le traité de St-Germain de La Haye, il fut restitué à la France, aux mains du gouverneur Razilly.
Où était-il localisé exactement ? Il n’en est nulle part fait mention. Rudes et indifférentes telles qu’elles devaient l’être, ces ruines ont du rester visibles pour quelques temps voire même de longues années. À mon avis le fameux « amoncellement de pierres » au-dessus de la falaise, où est établi, H.V. Anthony Greenhouse. Ltd., représente ce qui reste des vestiges du Fort Lomeron, 50 ans auparavant.
Si nous sommes maintenant sûrs qu’il y avait des hommes blancs ici en 1618, nous pouvons aussi prendre pour acquis qu’il y en avait 10 ans auparavant et même avant. Ça se pourrait bien que Chebogue fut la troisième fondation en Acadie ; l’Île Ste-Croix*, entre le Nouveau-Brunswick et le Maine, établi en 1604, en fut le premier mais ne dura guère. L’année suivante fut fondée Port-Royal. En 1606 ou 1607, il n’y avait peut-être pas de poste permanent d’établi à Chebogue mais il devait sûrement néanmoins être fréquenté par les pionniers. Champlain sur sa carte de 1607 avait dessiné là quelques bâtiments ; il nous mentionne même, qu’en date du 21 juillet de l’année précédente, 1606, une troupe d’habitants en quête d’un endroit où s’établir s’installèrent à deux lieues de Cap Fourchu, sûrement à Chebogue.
Chebogue était un endroit vraiment important pour les Amérindiens, bien plus que le Havre de Yarmouth*, qui était « pratiquement toujours à sec à la saison morte », nous dit Champlain. C’est la raison pour laquelle quand tous les vieux auteurs et les vieux documents font référence au Cap Fourchu ça implique la plupart du temps Chebogue plutôt que le Havre de Yarmouth. Avec ses vastes prairies, étant à proximité d’une pêche abondante, des oiseaux de mers et de la vie sauvage, ce site représentait un lieu de campement de choix pour les Amérindiens. Bien que le révérend Silas Rand, dans son dictionnaire de la langue Micmac, nous dit que l’endroit était à l’origine appelé « utkobok », qui voudrait dire « eau froide ou eau vivante », appellation qu’adoptent la plupart des auteurs, le père Sigogne, de son côté, lui-même versé dans la langue Micmac, pense que l’ appellation viendrait plutôt d’un mot signifiant « grand pré » en français, ce qui semble plus approprié à la physionomie naturelle des lieux et plus en harmonie avec le mot « theuben », la première orthographe que nous ayons de ce mot, datant de 1631, ainsi qu’au mot « theboc » que les pionniers ont appris des Amérindiens eux-mêmes.
Il se pourrait bien que le grand chef Micmac Henry Membertou ait vécu ici. C’est à cet endroit qu’on appelle « Cap Fourchu » que nous retrouvons son fils aîné Louis, quand, en 1613, il reçut à bras ouverts le père Masse et l’invita à un festin en son honneur où un orignal fut servi comme plat principal. Il devint « Sagamo » ou chef de sa tribu lorsque son père décéda le 11 septembre 1611. Comme Henry Membertou fut baptisé, il fut enterré au cimetière de Port-Royal, en terre catholique. Près de l’endroit, il y a une plaque commémorative sur laquelle on peut lire, « Ici fut enterré, âgé et apprécié de tous, le chef Micmac Membertou. ! Le lecteur se souviendra que nous avons commémoré le 375ième anniversaire de sa mort, il y a de ça deux ans et demi, plus spécifiquement à Annapolis Royal. Comme je vous le disais, cet « amoncellement de pierres » sur les rives de la Rivière Chebogue ne peut avoir été érigé à la mémoire du grand chef Micmac Henry Membertou.
Bien que les français eurent donné à cet endroit le nom de « Port Lomeron », l’appellation originale Micmac était trop ancrée dans l’esprit des Amérindiens pour perdre son identité. C’est la raison pour laquelle cette appellation a traversé le temps sous différentes orthographes dans les documents ; Tebok, Tgepok, Thebauque, Theboc, Thebok, Thiebee, Tibogue et Tkebock. Avec l’arrivée des premiers établissements anglais en 1761, l’orthographe de l’ancien nom indien fut changé en Chebogue qui demeura jusqu’à aujourd’hui.