Ce court texte a été rédigé en anglais par le père Clarence d’Entremont et publiés dans le Yarmouth Vanguard le 19 mai 1989. Traduction de Michel Miousse
Les sortilèges, sous une forme ou une autre, ont été utilisés aussi loin que l’histoire puisse remonter. Quelques personnes semblent avoir réellement eu le pouvoir de jeter des sorts aux gens, aux animaux et aux choses. Vous avez tous déjà lu ou entendu parler de ces gens qui avaient acquis ce pouvoir du diable en échange de leur âme. Tout ceci cependant fait plutôt partie du domaine des légendes. La plupart du temps, les gens, dans leur ignorance, étant incapable d’expliquer certains maléfices, blâmaient ceux qu’on appelait les « sorciers. »
Ces dénommés « sorciers » ont existé du temps de nos ancêtres immédiats. De même, ces sortilèges et ces charmes rapportés jusqu’à nous par la tradition sont si nombreux que nous aurions besoin d’un livre en entier pour les raconter. Un vieux missionnaire Français du nom de Père Amable Petithomme, qui de 1836 à 1839 était pasteur de Sainte Anne du Ruisseau, qui comprenait alors les villages Français du Comté de Yarmouth, nous parle d’un livre magique d’envoûtement dont les Acadiens faisaient usage, bien qu’il n’en soit fait mention nulle part ailleurs.
Il y aurait eu cependant un petit livre rouge que « Croche » aurait reçu d’un camarade de navigation à Yarmouth, auquel livre il aurait donné le nom de HOCUS POCUS, dont Frank J. Pothier nous parle dans son livret « Acadians at Home »(1957.) « Croche » était Louis Doucet, fils de Charles, lui-même appelé « Tania » de Quinan. Il avait appris à projeter sa voix. Alors il s’est dit qu’il pourrait se payer une bonne pinte de rigolade avec son HOCUS POCUS. Frank J. Pothier nous raconte que d’un fragment d’étain, il s’était taillé une petite pièce qui s’insérait à merveille dans son précieux petit livre. Maintenant, afin de mieux berner son public, il ouvrait son livre au hasard en lui adressant une question, ensuite il plaçait son morceau d’étain sur la page, projetant sa voix pour faire croire que la réponse venait du morceau d’étain, qu’il tenait juste au-dessus de la page du livre. Il apeura tellement de gens avec son HOCUS POCUS que le Père Morin, qui avait précédé le Père Petithomme, ordonna à Croche d’être à l’église un certain dimanche. Ce jour venu il lui demanda de s’agenouiller et de lui remettre le petit livre rouge que le Père Morin réduisit en pièces devant l’assemblée. Et ce fut la fin des croyances superstitieuses que Croche avait semé dans la population.
Le mieux connu de tous ces sorciers à l’époque était David Doucet, grand et bien bâti, qu’on appelait aussi pour cette raison « Le Grand David », mais mieux connu dans la légende comme « Le Sorcier » et même « Le Maître des Sorciers. » Tout ceci parce que dans son tour de magie nous le retrouvions à plusieurs endroits, apparemment en même temps ? Probablement né à la Pointe des Muise, « La Pointe des Ben » des Français, à côté de Pointe à l’Écluse, fils de Michel, nous le retrouvons à Quinan, à la Pointe à Rocco et à Plympton dans le Comté de Digby, où il fonda le « Domaine Doucet. » Il semblerait que chaque fois qu’il apparaissait quelque part, des événements funestes se produisaient.
Je peux rassurer ses arrières petits enfants qu’ils n’ont pas à s’inquiéter d’avoir hérité la moindre parcelle de sa sorcellerie, celle-ci n’existant que dans la tête des gens.
À Methegan, il y avait « Cye », aussi connu sous le nom de « Cye à Mateur » (fils de Mathurin), ayant donné son âme au diable (à ce qu’on dit), il était capable d’exécuter les plus prodigieux et incroyables tours de prestidigitation. Il aimait danser, ce qui à l’époque était considéré comme une activité frivole et dangereuse. L’histoire raconte qu’il pouvait traverser la Baie de Fundy et atteindre Boston sur un morceau d’écorce d’arbre, plus vite que la lumière pour se rendre à la salle de danse. Plusieurs autres histoires étranges et « paranormales » ont été racontées à propos de Cye. Selon les dires des vieux, il fût un jour emmené de force à l’église de Methegan, où le pasteur l’aurait exorcisé, bien qu’aucun document en ce sens ne fut enregistré dans aucun registre d’église.
Dans un registre du père Sigogne nous lisons qu’à la fin du mois d’octobre 1810, alors qu’il était à Pointe de l’Église, celui-ci fut sommé de venir prendre soin des « filles dérangées de Tousquet », en parlant de Tousquet Wedge, aujourd’hui devenu Wedgeport. Les gens se demandaient si ces filles étaient victimes d’un sort ou même possédée par le diable. Nous connaissons le cas de Rosalie Cottreau qui, de temps à autre, avait des convulsions ou des attaques ; et les gens se demandaient si ce n’était pas là l’effet d’un envoûtement du diable. Probablement que le père Sigogne se rendit immédiatement compte qu’elle avait plutôt besoin d’un médecin que d’un prêtre.
Son père, ayant entendu parler de ce personnage coloré de Shelburne qui avait la réputation de désenvoûter les démons et leurs sorts, lui fit parvenir un message dans lequel il lui demandait de venir s’occuper de sa fille. Mais quelle fut sa surprise lorsqu’il vit le personnage coloré de Shelburne entrer dans la maison avec un fusil à long canon. Il demanda à voir la fille. Après l’avoir examiné de la tête aux pieds, il a commencé à emplir son fusil de poudre ; mais au lieu de mettre du plomb dans le fusil, il y inséra une pièce de monnaie. Il dit ensuite au père de la jeune fille qu’un sorcier avait jeté un sort sur sa fille, « quelqu’un qui était manifestement jaloux de lui, bien qu’il ne le connaisse pas. Tu ne sais même pas où il habite. Il peut très bien être en France (d’où le père était venu), ou de n’importe où. Mais vous allez voir de quelle façon je vais m’occuper de lui, le tirer et le tuer. » C’est par la suite que le père, qui était un homme vraiment honnête n’ayant jamais de sa vie, voulu faire de mal à âme qui vive, tomba à genoux, suppliant l’homme coloré de ne pas se servir de son fusil, ajoutant qu’il préfèrerait mourir lui-même plutôt que de détruire une âme. Alors, l’homme coloré de Shelburne, après avoir reçu ses honoraires, n’avait plus qu’une chose à faire, retourner chez lui.
Eh! Bien, l’histoire continua, Rosalie se maria et il semble que cela mit fin à ses envoûtements.
Mais elle n’était pas entièrement délivrée de la « sorcellerie. » En effet, on raconte que deux de ses sœurs, qui s’étaient mariées à la Rivière aux Saumons*, devinrent victime de sorcellerie. L’une d’elle, du nom de Betty, entendait parfois des bruits dans la maison qu’elle habitait. Il en vint à un point où elle dût quitter son mari pour aller s’installer chez sa mère à Wedgeport.
Il semble bien que cette fois, le blâme allait retomber sur les épaules d’un autre sorcier, Alexandre Mius, fils de Grégoire, de la Pointe des Muises, que les gens appelaient parfois « Jarret », le mot français qui désigne le pli du genou ; en parlant aux gens, il lui arrivait de les frapper sous les genoux pour exercer une tension sur un certain point du corps. Se remémorant l’homme coloré qui était venu de Shelburne pour elle, et dont son père avait fini par se débarrasser, Rosalie fit appel à nouveau à un « vieil homme coloré », selon ce que raconte l’histoire, sans toutefois mentionner s’il s’agissait du même homme qui était venu pour elle quelques 30 ans auparavant. Tout ce que nous savons de sa performance est qu’il fit toutes sortes de « stupidités » et de « faire croire », tel qu’il est écrit, ajoutant qu’elle n’avait désormais plus rien à craindre de qui que ce soit, ayant puni « Jarret » pour de bon cette fois. Ce fut la fin des histoires de sorcellerie à Wedgeport et, aussi loin que je me souvienne, parmi les Acadiens du Comté de Yarmouth.